Robert Desoille

 

Robert Desoille (1890 – 1966) avait entrepris des études de psychologie à la Sorbonne, qu’il a dû abandonner lorsqu’il a été mobilisé pour la guerre de 14 – 18. S’il devient ingénieur par la suite, il n’a cessé de s’intéresser à l’investigation psychologique et à la résolution des conflits intrapsychiques. Lorsqu’il met au point le rêve éveillé et effectue des recherches sur l’efficacité de celui-ci il publie son premier livre en 1938 « Exploration de l’affectivité subconsciente par la méthode du rêve éveillé ». Et pendant plusieurs années il va affiner cette pratique et se mettre à la recherche des explications théoriques qui éclaireraient son efficacité. Il publie plusieurs autres livres entre 1945 (« Le rêve éveillé en psychothérapie ») et 1961 (« Théorie et pratique du rêve éveillé dirigé ») hésitant entre une approche jungienne (son livre de 1945 est sous-titré « Essai sur la fonction de régulation de l’inconscient collectif») et des tentatives d’explication pavlovienne, lui-même étant communiste.

 

S’il n’a pas été du côté de la psychanalyse freudienne, il n’en ignorait pas les tenants et aboutissants, mais réservait sa propre position. En 1951 lors d’une conférence des psychanalystes de langue française, après une intervention de Lagache il donne le point de vue suivant : « nous retiendrons que dans la plus grande partie des cas (98 %) la situation de transfert est vécue symboliquement dans le rêve éveillé. Elle est également résolue symboliquement en invitant le sujet à modifier son attitude dans la situation symbolique du rêve éveillé et en l’amenant progressivement à prendre, en face de cette situation, l’attitude bien adaptée d’un adulte maître de soi ».

 

On voit par là qu’il n’avait pas un positionnement psychanalytique, d’ailleurs son approche s’appelait Rêve Eveillé Dirigé (RED). Mais sa finesse clinique et la subtilité de sa pratique amenèrent de nombreux psys de l’époque à expérimenter avec lui ce qu’il en était de ce fameux rêve éveillé, dont par exemple Françoise Dolto.

 

Si bien qu’autour de Robert Desoille des psychologues (telle Nicole Fabre) ou psychiatres (tel Jacques Launay) viennent régulièrement travailler avec lui et apprendre sa pratique. Après sa mort, ils décident de continuer cette recherche et créent en 1968 une association : le GIREDD (Groupe International du Rêve Eveillé Dirigé de Desoille).

 

Comme certains de ces pionniers sont encore vivants et peuvent transmettre personnellement ce qu’il en a été, nous nous baserons sur l’historique détaillé qui a été écrit par Jacques Launay cependant que les ouvrages écrits par Nicole Fabre sont incontournable pour en comprendre la pratique et l’efficacité. Nous allons donc citer abondamment Jacques Launay tout au long de cette présentation.

 

L'évolution du RED vers le RE psychanalytique

 

Le GIREDD, très actif, très vivant, est empreint de l'esprit Desoillien : il cherche à mettre en lumière théorique et clinique les ressorts de l’efficacité thérapeutique d’une cure centrée sur le rêve éveillé. Leur revue « Etudes Psychothérapiques » (créée en 1970) témoigne de ce bouillonnement. Et de nombreux livres paraissent tels que « Le triangle brisé. Trois psychothérapies d’enfants par le rêve éveillé dirigé » (Nicole Fabre 1973) et surtout « Le rêve éveillé dirigé et l’inconscient » (Jacques Launay, Jacques Levine, Gilbert Maurey 1975).

 

On sent le tiraillement qui existe alors entre d’un côté le développement de cette approche si spécifique et d’un autre côté la richesse de compréhension qu’amène la psychanalyse

 

Citons Jacques Launay à propos de ce livre :

 

" J. Levine montrait comment, par cette utilisation de l'imaginaire et son analyse, il existe des « modifications intra-systémiques du Moi » à travers les différents personnages qui viennent se mettre en scène sur le mode onirique et essaient de nouveaux modes résolutoires par rapport à ce qu'il appelle « les vécus de rupture ».

 

G.MAUREY envisageait l'impact du R.E.Dsur la relation, le thérapeute pouvant être désigné comme « un repère ». Le R.E.Dconstitue un « 3ème pôle relationnel » du fait qu'il est « le pivot de la cure ». Le projet relationnel du thérapeute est défini comme « d'équivalence » renvoyant à son statut de « repère ». Il agit en amont et en aval du R.E.D., ce qui situe les problèmes relationnels de façon bien différentes par rapport aux thérapies à relation duelle non médiatisées. La notion « d'équivalence » renvoie à celle « d'égale valeur » sans être pour autant « synonyme d'égalité ou d'identité ».

 

En ce qui concerne les rapports du R.E.D.et du fantasme, J.LAUNAY émettait l'hypothèse que « la dimension temporo-spatiale » du R.E.D. représentait « l'espace du possible » et pas uniquement « l'espace du désir ». Le R.E.D. puise au même réservoir que le fantasme, c'est-à-dire l'inconscient, mais par la réactualisation d'une pensée qui a été fantasmatique. Le discours R.E.D. irait au-delà du fantasme pour restituer une problématique inconsciente dans un « langage archaïque ».

 

On peut dire que cet ouvrage a marqué un tournant important dans l'évolution de la théorie concernant le R.E.D., introduisant dans sa compréhension la notion d'inconscient freudien qui, il faut bien le dire, était récusé par Desoille, tout en lui gardant sa spécificité en tant que mode d'accès aux problématiques et mode relationnel originalC'est à cette époque qu'il est décidé d'écrire Rêve-Éveillé-Dirigé, avec des tirets, pour signifier qu'il s'agit d'un tout dont chaque élément est indissociable des deux autres. "

 

Progressivement le GIREDD s’oriente vers la psychanalyse. Ainsi le livre de Nicole Fabre en 1979 « Avant l’Œdipe. Rêve-Eveillé-Dirigé et fantasmes archaïques »

 

Ecoutons à nouveau J.Launay :

"À partir de la cure d'un patient, Bertrand, elle montre comment le R.E.D. fait apparaître des fantasmes archaïques témoins de phases très régressivesElle s'appuie sur les travaux de l'Ecole Anglaise (Winnicott, Masud Khan, Balint, Marion Milner) tout en élaborant une théorie originale découlant de l'écoute et de l'observation clinique spécifiques aux cures R.E.D. 

Pour elle: « Le vécu archaïque se situe aux confins de l'image et des sensations corporelles »De cet inconscient dont les mots ne parviennent à rendre compte que de façon vague et imprécise, elle dégage des processus opératoires : univers de fusion et de défusion, d'amour et de haine, d'explosion et de bien-être, d'angoisse et/ou de bonheur indicible. Univers où le Moi et le non-Moi, l'extérieur et l'intérieur se confondent. Monde d'avant la différenciation des sexes où le sujet peut être masculin ou féminin, voire sans sexe aucun."

 

On notera, et ce n’est pas un hasard, qu’entre 1968 et 1982 de très nombreux travaux sur les thérapies d’enfants apparaissent dans les « Etudes Psychothérapiques ». Ce n’est pas un hasard car, nous le verrons, le travail d’interprétation métaphorique, (si bien mis en exergue plus tard par Didier Houzel, en psychanalyse d’enfants) est très similaire dans les thérapies d’enfants et les psychanalyses rêve éveillé d’adultes. 

 

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Les évolutions

 

Mais bien sûr, dans ce bouillonnement de recherche, et ce tiraillement entre la spécificité de la pratique rêve éveillé et la richesse de sa compréhension psychanalytique, des courants apparaissent. Des évolutions auront lieu, manifestées par des changements de nom : en 1982 le GIREDD devient GIRED (Groupe International du Rêve Eveillé de Desoille. Le D de Dirigé a disparu), et en 1987 le GIRED devient GIREP (Groupe Internationale du Rêve Eveillé en Psychanalyse) : le nom de Desoille n’apparaît plus que dans les statuts.

 

Ces courant qui s’opposent sont finement analysés par Jacques Launay :

"Trois courants différents s'opposaient :

1) Ceux qui prônaient une intégration totale du rêve-éveillé dans le cadre d'une psychanalyse, le RE n'étant qu'un mode d'accès à l'inconscient parmi les autres;

2) Ceux qui penchaient pour une spécificité du rêve-éveillé, certes éclairée par les apports freudiens et post-freudiens, mais avec la prise en compte d'une relation de transfert originale;

3) Ceux qui considéraient le rêve-éveillé dans une optique créatrice et novatrice, restant fidèles à la notion desoillienne de transfert exprimé et résolu dans et par le RE lui-même."

 

L'AIRE (Analyse Intégrative Rêve Eveillé) créée en 2002 par Jean-Marc HENRIOT est, en somme, issue du courant 2. Jean-Marc HENRIOT est resté membre du GIREP jusqu'au début 2015, car il y trouvait un lieu de recherche intéressant sur la psychanalyse rêve éveillé. Mais parallèlement il a insisté progressivement et de plus en plus sur l'importance du RE comme "objet médiateur", ce qui suppose un aménagement du cadre très spécifique (avec toutes les conséquences théoriques et cliniques qui en découlent) .

 

 

L'évolution vers l'AIRE

 

Citons une fois encore Jacques Launay : 

" Jean-Marc HENRIOT, dans une série d'articles et d'exposés écrits entre 1988 et 1995, propose une compréhension du mode d'action du Rêve-Eveillé, en lien avec le pré-conscient, qu'il considère comme un espace psychique qui permet la contention et le traitement des « motions opposées en provenance du conscient et de l'inconscient ». Il émet l'hypothèse, dans une perspective topique, que : « les frontières entre les espaces psychiques ne sont fonctionnelles qu'à condition d'être semi-poreuses, permettant une circulation osmotique d'un côté à l'autre ». Par ailleurs : « chaque espace psychique est un lieu de contention des positions différentes issues de l'osmose à chacune des deux frontières qui le bordent ».

Il s'appuie sur les travaux de Guillaumin concevant le pré-conscient comme « un espace transitionnel interne » dont le désinvestissement (selon Marty) ou le sous-développement (selon Anzieu) apparaissent comme une clé significative pour la compréhension et le traitement de certaines pathologies : troubles psychosomatiques, dépressions, pathologies caractérielles ou narcissiquesSelon Henriot :« L'analyse Rêve-Eveillé, avec sa procédure si spécifique, semble particulièrement apte à permettre à l'analysant d'une part une restauration de son préconscient et d'autre part la fonctionnalité osmotique des frontières semi-poreuses qui encadrent celui-ci » (in : Attention changement, Études Psychothérapiques, n°72, juin 1988). Dans un autre article, rendant compte de son intervention au Colloque de mai 1993 sur le thème : « En quoi la cure RE est-elle une psychanalyse ? » Henriot rappelle que le Rêve-Éveillé analytique n'est pas réductible au seul imaginaire, mais qu'il s'agit d'une expérience particulière qui mêle imaginaire, affect et verbalisation. S'interrogeant sur les « conditions de survenue de l'image, de la symbolisation et d'une représentation interne », il s'appuie sur Bion et Anzieu pour élaborer l'hypothèse que « l'expérience du R.E. et les deux logiques qu'elle suppose, renvoie aux grands paradoxes de la construction même de l'identité suivant Winnicott » et aurait un rapport à la création du Moi-peau psychique. ( in « Origines de la vie psychique et expérience du Rêve-Éveillé ».Cahiers de l'Institut du G.I.R.E.P., n°30, janvier 1995). "

 

Plus tard il formalisera de plus en plus les ressorts théoriques et la pratique clinique d’une Psychanalyse Rêve Eveillé assez spécifique du fait de l’aménagement du cadre et des conséquences qui en découlent.

 

L’AIRE tient à conserver certains éléments pratiques datant des périodes fructueuses et vivantes du GIREDD, tout en ayant une lecture absolument psychanalytique des enjeux. Gilbert Maurey (psychiatre), dont l’évolution lacanienne ultérieure ne correspond en rien aux positions de l’AIRE, avait su nommer en 1975 des notions comme : le RE 3° pôle relationnel, le RE pivot de la cure, et le projet relationnel du thérapeute défini comme relation d’équivalence. L’AIRE a revisité ces notions, considérant qu’elles sont issues d’un temps où la recherche n’était pas bridée par la tentation de se fondre dans une psychanalyse freudienne ou lacanienne au risque d’y perdre sa propre originalité.

 

Opinions de psychanalystes non RE

 

D’ailleurs, à l’inverse, de nombreuses psychanalystes freudiens ont perçu l’intérêt d’une pratique orientée par le RE.

 

 Jacques Chazaud écrivait dans une analyse du dernier ouvrage posthume de Desoille : Entretiens sur le Rêve-Eveillé-Dirigé en psychothérapie (1973) : « Tout lecteur de bonne foi… reconnaîtra que le rêve éveillé de Desoille est la seule trouvaille qui compte depuis Freud ». En effet si, à la fin du chapitre VII de la Traumdeutung, il y a une esquisse de rêve éveillé, cette voie n’a été ni explorée ni approfondie par Freud. Celui-ci note seulement dans : Le mot d’esprit dans ses rapports à l’inconscient (1905) l’importance de la régression dans le passage aux images visuelles, et dans : Le moi et le ça (1923) le fait que la pensée en image est plus proche des formations inconscientes que le langage verbal.  

 

 Juliette Favez-Boutonnier consacre le chapitre VI de son ouvrage L’angoisse (1945) à la « guérison de l’angoisse » par la méthode du rêve-éveillé. Elle explique pourquoi le RE, qui parle le langage de l’inconscient, a des effets thérapeutiques même sans interprétation : « C’est parce que l’angoisse est liée à des images qui se cristallisent en symboles, et l’affleurement de ces images dans le rêve éveillé réalise déjà un certain défoulement ». Par ailleurs : « Il n’y a pas d’analyse sans synthèse et le rêve éveillé de Desoille souligne le côté synthétique de la thérapeutique ».

 

 D. Widlöcher écrivait en 1971 dans un article intitulé « Réflexions d’un psychanalyste sur le rêve éveillé dirigé » (Etudes Psychothérapiques, numéro 4–5) : « La pratique qui nous est proposée se définirait comme proche de l’analyse par l’étendue de l’insight recherché, assez différente sur le plan de la relation (en raison d’une tâche), naturellement différente si l’on considère la tâche elle-même ; quant au degré de directivité il ne serait pas sensiblement différent ».

 

 Dans ce même article Daniel Widlöcher écrivait aussi : « est-il si nécessaire, si utile, de situer ainsi le R.E.D. par rapport à la psychanalyse ? Sans doute, et pour de nombreuses raisons qui tiennent à l’histoire de la psychothérapie des névroses et aussi à la valeur de référence que conserve la méthode psychanalytique. Encore conviendrait-il de préciser ce que l’on entend par cette notion de référence. On ne saurait la lier à un idéal thérapeutique, comme un préjugé favorable l’accorde parfois trop généreusement ». Et il ajoutait : « Si l’on parvenait à s’entendre sur un certain nombre de paramètres nécessaires, on pourrait situer chaque psychothérapie non par rapport à la psychanalyse mais dans un champ où la psychanalyse proprement dite occuperait une place définie parmi les différentes formes d’interventions psychothérapiques ».

 

On remarquera que toutes ces citations sont anciennes. À quoi ceci peut-il tenir ? Plusieurs hypothèses peuvent venir à l’esprit. L’une serait que la passion des psys concernés par le RE avait suscité alors travaux, intérêts, interrogations. L’autre serait que, dans l’évolution vers la psychanalyse, bien des psys en seraient venus à perdre l’intérêt de développer la spécificité d’une pratique centrée sur le RE, n’employant plus celui-ci que de loin en loin, presque de manière annexe. Enfin, autre hypothèse : le RE s’est révélé si riche qu’il a été repris dans une foule de directions. Beaucoup de thérapeutes, ou même coachs de toutes sortes, l’utilisent pour sa grande efficacité symbolique, et cette richesse tous azimuts a pu amener à perdre de vue son intérêt central : l’accès aux traumatismes et fixations, même les plus archaïques, et le travail autour de ces points.

 

L’AIRE (Analyse Intégative Rêve Eveillé) développe donc, elle aussi,  cette voie qui tient solidement les deux bouts de la pratique : le RE, pivot de la cure, et la psychanalyse, cœur de référence. Le RE "objet médiateur" est activement maintenu et compris dans ses fonctions "phoriques, sémaphoriques, méraphoriques" pour employer les mots de R. Roussilon théorisant le travail analytique avec médiation. 

 

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