Les débuts de cure
Intervention personnelle de Jean-Marc Henriot au séminaire du GIREP du 8 novembre 2010
. 1° partie : les fondamentaux .
Ø Freud et le jeu d’échecs
Donc le thème c’est le début de cure. Alors vous savez que Freud a comparé la formation de la psychanalyse avec la formation du jeu d’échecs. Au jeu d’échecs on peut apprendre :
les débuts de partie
les fins de partie
la stratégie du jeu :
Par contre le milieu de la partie ce n’est pratiquement pas possible d’apprendre quelque chose. Il faut avoir compris les règles et puis ensuite être créatif pour pouvoir jouer correctement.
Ø Mais il faut d’abord bien connaître le mouvement des pièces et le but général du jeu. Quelques rappels à ce propos :
Je pense qu’on peut apprendre un peu les débuts de partie en ce qui concerne l’analyse rêve éveillé, et donc c’est de ça dont je vais vous parler, mais je pense qu’il faut aussi que l’on ait d’abord un peu une vue plus générale avant de parler du début de partie, connaître le mouvement des pièces et puis le but général du jeu.
1) différencier les divers types de vécus de l’analyste : empathie ; sympathie (résonance émotionnelle) ; identification projective ; sentiments parentaux disponibles ; et surtout évidemment le Contre-Transfert
Alors la première chose qui me parait importante à souligner c’est qu’un des points fondamentaux de la cure, c’est le vécu de l’analyste. Et dans les vécus de l’analyste, il s’agit de différencier. Ce que j’ai remarqué souvent, c’est que les gens ont tendance à mettre tout dans un même paquet : « c’est mon contre-transfert ». Eh bien non, à mon avis il y a des tas de vécus différents et c’est important de les différencier.
Bon, bien sûr il y a l’empathie, qui consiste à voir les choses de la manière dont la personne les voit c’est-à-dire à se glisser dans sa vision du monde. Il y a la sympathie, pas au sens général du terme, mais plutôt au sens étymologique « sun patein », c’est-à-dire la résonance émotionnelle. La personne est en train de pleurer, elle est très émue, et vous-même vous êtes très ému, et c’est très bien, parce que du coup il y a quelque chose comme une espèce de lien là qui se passe. Un analyste qui resterait très tranquille face à certaines émotions de son patient, pourrait peut-être être un analyste qui est en train de se protéger et de ne pas vivre quelque chose en commun avec la personne. Donc je différencie, bien que ce soient des petites subtilités, l’empathie qui consiste à comprendre comment la personne voit le monde et la sympathie qui consiste à être en résonance émotionnelle.
Bien entendu vous avez aussi l’identification projective, c’est-à-dire que vous êtes en train de ressentir des éléments violents, des affects forts, que le patient ne ressent absolument pas. En général c’est quand vous avez affaire à quelqu’un qui est clivé, mettons une personne état-limite. Donc elle va vous raconter quelque chose d’horrible, tranquillement, avec une voix paisible, et vous, vous allez être complètement bouleversé, et remué etc., avoir envie de vomir. Eh bien ça, c’est de l’identification projective. C’est-à-dire qu’en réalité, ce qui se passe en vous vous dit quelle est l’émotion que la personne aurait besoin de retrouver et dont elle se coupe. Vous voyez que la même émotion peut avoir un sens différent suivant que c’est de « l’identification projective » ou que c’est une « résonance émotionnelle ».
Je pense aussi, à mon avis c’est indispensable, il faut que l’analyste ait des sentiments parentaux disponibles. Qu’il y ait quelque part à l’intérieur de soi, comme une espèce de bonne mère, une sorte de bienveillance de fond. J’ai quelquefois remarqué que c’est plus difficile aux analystes qui n’ont pas d’enfants de sentir cette capacité à être là, comme une bonne mère de fond. Bien entendu qu’on ne va pas montrer, ni on ne va pas se comporter comme une bonne mère, mais à l’intérieur de nous-mêmes il faut qu’il y ait ce sentiment de bonne mère, ou de bon père, enfin quelque chose qui est comme une espèce de sentiment parental disponible.
Et évidemment le principal c’est le contre-transfert, mais vous voyez que le contre-transfert c’est autre chose encore. C’est un point très précis. Le contre-transfert c’est : « le jeu qui m’est proposé par le transfert du patient me pousserait à faire quelque chose, me pousserait à le rejeter, ou me pousserait à l’agresser, ou me pousserait à être séduit, ou me pousserait à m’endormir, etc ». Il y a quelque chose comme une sorte de jeu proposé par le transfert qui est une façon de dire à l’analyste : mets-toi à la place complémentaire de mon transfert et ressent, par exemple, ce que les parents ressentaient vis-à-vis de moi. Le contre-transfert c’est vraiment un élément fondamental et c’est intéressant de le différencier.
2) pourquoi les différencier ? car le CT est le point le plus capital, permettant de savoir si on y est attentif :
quel jeu ne pas jouer
Donc vous ne rentrerez pas dans la répétition traumatique du jeu névrotique ou psychotique proposé et en ne rentrant pas dans ce jeu-là, quelque part, vous allez préparer la possibilité ultérieure de l’introjection d’une imago parentale bonne, différente de celle qui était initialement attendue par le transfert de la personne.
quelle hypothèse concernant l’histoire, et surtout l’intrapsychique de patient, est la plus juste
Le Contre-transfert est un des éléments capitaux parce qu’il permet de savoir quel est le jeu qu’il ne faut pas jouer, mais c’est aussi un des éléments capitaux parce qu’il permet de savoir, si les hypothèses que l’on est en train de se faire ont une validité ou non. Alors, je m’explique : pour que vous fassiez votre boulot correctement, il faut que vous fassiez des tas d’hypothèses. Ces hypothèses sont à base de liens : « tiens qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui s’est passé dans son histoire ? Qu’est-ce qui se passe dans sa vie réelle ? Qu’est-ce qui se passe dans ses rêves ? Qu’est-ce qui se passe dans ses rêves-éveillés ? Qu’est-ce qui se passe dans le transfert qui me laisse entendre que, probablement, il y a eu quelque chose qui est traumatique ou problématique à tel endroit ? »
Il est nécessaire de se faire des tas d’hypothèses. Pourquoi c’est nécessaire ? Parce que plus vous faites des liens à l’intérieur de vous, plus vous favorisez que le patient puisse faire des liens lui-même. Un analyste qui ne se fait pas d’hypothèses et qui se contente de rouler comme ça tranquille à suivre ce qui se passe, ne prépare pas la possibilité chez le patient de créer des liens.
Ce qui permet de savoir quelle hypothèse est la plus pertinente repose prioritairement sur 2 piliers : le CT et le RE, et en annexe sur les RN, et les troubles dans la vie réelle.
Il y a deux éléments fondamentaux qui vont permettre le changement à l’intérieur d’une cure, c’est la gestion du contre-transfert et les rêves éveillés.
Or, ultérieurement à la fin de l’Analyse, ce qui est bon, et on verra ensemble ces questions là, c’est que la personne soit capable de faire des liens par elle-même, qu’elle soit capable de se retrouver plus facilement avec elle-même pour savoir qu’est-ce qui se passe en elle-même. Et cette capacité de lien est en même temps liée à la capacité de liens de l’analyste.
Résumons-nous : l’analyste doit faire des tas d’hypothèses, mais toutes les hypothèses ne sont pas justes, bien entendu. Par exemple on se dit : « tiens son frère avait cinq ans de plus, peut-être qu’il y a eu un abus sexuel par le frère etc. etc ». On se fait une hypothèse. Comment on va savoir si elle est juste ou fausse ? Eh bien à mon avis il y a deux critères fondamentaux, c’est : qu’est-ce qui me dit le contre-transfert ? Et qu’est-ce que disent les rêves éveillés ? Et à la lumière de ces deux critères fondamentaux, j’aurai des points d’appui pour savoir si mon hypothèse est pertinente, ou si elle est peu pertinente. D’où la nécessité de bien repérer ce qui est le contre-transfert, différencié des autres types de vécu.
On se fait donc des hypothèses en s’appuyant prioritairement sur les deux piliers que sont le contre-transfert et le rêve éveillé, et en annexe, sur les rêves nocturnes et les troubles dans la vie réelle. Ce qui fait quatre points :
Rêve-éveillé
Rêves nocturnes
Transfert
Et vie réelle
Entre parenthèses, ces 4 points représentent des critères de fin de cure, différenciant « fausse sortie » et vraie fin de cure.
C'est-à-dire qu’à mon avis, c’est lorsque ces quatre points ont évolué qu’on a des chances d’arriver vers une fin de cure correcte, et non pas vers une fausse sortie. Mais comme mon thème aujourd’hui n’est pas la fin de cure, je vais juste en rester là en ce qui concerne ces critères de fin de cure.
3) pourquoi se faire des hypothèses (nombreuses), à valider ensuite par les critères de CT et RE ?
L’intérêt de se faire des hypothèses, c’est aussi qu’on va faire un travail plus pertinent au niveau du « jeu métaphorique ». Mettons vous allez travailler sur une image, non pas en cherchant à la décoder d’une façon directe, qui à mon avis est une erreur parce que ça vous mettre en position haute, et parce que ça risque trop de susciter des associations mentales etc., mais plutôt en jouant autour. Qu’est-ce que c’est que ce mur là ? Pourquoi il est là ? Que peut faire la personne en face ? Est-ce qu’elle va le démolir ? Est-ce qu’elle va le contourner ? Est-ce qu’elle va sauter par-dessus ? On joue autour de l’image.
Ø pour un travail plus pertinent concernant la constellation du PréCs par le jeu métaphorique (cf. processus d’interprétation, interprétation sauvage ou non)
Et ce jeu métaphorique, assez similaire au squiggle Winnicottien est extrêmement intéressant parce qu’il constelle le préconscient.
Ø pour favoriser un double chemin, capital pour le sujet :
C’est-à-dire que l’on s’approche de l’interprétation qui est sous-jacente (qu’on a en tête éventuellement) sur le sens de cet objet là, symbolique. Mais la manière d’en parler, de façon distanciée, à travers un jeu métaphorique, permet d’une part que la personne s’approche du sens, et il y a beaucoup plus de chance qu’elle puisse se l’approprier ensuite en trouvant elle-même l’interprétation, ce qui du coup évite que nous nous trouvions en position interprétative, et d’autre part, ça permet d’avancer à mots couverts. C’est-à-dire que l’on va s’approcher, un peu comme dans le rêve éveillé mais c’est différent quand même, on va s’approcher à mots couverts de ce qui est déposé dans ces symboles là.
Le travail métaphorique, sera bien meilleur si vous avez une hypothèse. Quelque chose là cherche à se dire, mais (on verra plus tard ensemble pourquoi) il est impératif de ne pas aller trop vite vers des interprétations en bonne et due forme et verbalisées, d’une part parce que ça vous met en position d’être celui qui est le dépositaire de la vérité de l’autre, ça peut susciter des résistances, et d’autre part, ça ne favorise pas la machine à liens, la machine à découvrir, la capacité de symbolisation du patient.
a) appropriation subjective (reliée à relation d’équivalence)
Donc, l’intérêt de se faire des hypothèses et de travailler d’une façon métaphorique, c’est que cela favorise plus tard l’appropriation subjective par le patient du chemin qu’il a fait ici.
b) développement de ses capacités de symbolisation (qui, elles-mêmes, supposent tout d’abord un travail sur le contenant psychique, et les MD)
Il a découvert une capacité de symbolisation et ensuite de mise en mots plus consciente de cette symbolisation dont il était porteur. Et s’étant approprié le chemin il pourra ultérieurement avoir une capacité à se récupérer beaucoup plus facilement, quoi qu’il arrive, que s’il a eu affaire à un brillant analyste qui lui a donné des tas d’interprétations intelligentes mais qui ne lui a pas permis justement de s’approprier son propre chemin, et de développer ses propres capacités de symbolisation.
4) ainsi arrivons-nous à la « stratégie du jeu » et au but de la cure :
Ø revivre et terminer autrement les traumatismes, avec 2 axes prioritaires pour cela : la gestion du CT et l’évolution des RE
Quand on dit traumatismes, vous le savez bien entendu, ce n’est pas forcément ‘traumatisme’ au sens qu’il y a eu quelque chose de spécifique, mais c’est une zone qui n’a pas pu être symbolisée correctement à un moment donné par le psychisme infantile qui était trop déficitaire face à la situation.
Au fond on pourrait dire qu’il y a trois choses qui sont traumatiques :
§ Il y a d’une part le fait même que le psychisme infantile ne dispose pas des moyens de comprendre la réalité qui se passe et donc va la déformer à travers sa propre vision et peut très bien du coup instaurer des zones mal foutues ;
§ D’autre part il peut y avoir réellement des traumatismes : carence, ou bien intrusion, ou autres ;
§ Et puis éventuellement un peu plus tard dans l’enfance, il peut y avoir une violence traumatique telle que c’est venu fracturer l’ensemble du système.
Mais la plupart du temps malgré tout, même s’il n’y a pas eu justement quelque chose d’extrêmement traumatique dans l’adolescence ou dans l’enfance, il suffit déjà que la petite enfance soit porteuse de choses mal symbolisées, mal comprises par le psychisme infantile, pour poser des problèmes.
Ø symboliser ce qui n’avait pas pu l’être
Donc en fait, il s’agit de symboliser ce qui n’avait pas pu l’être. Et de le terminer autrement ; avec deux axes prioritaires :
§ Le fait que l’analyste ne va pas jouer le jeu du contre-transfert ;
§ Et le fait que les rêves éveillés vont permettre une évolution.
Parce que les rêves éveillés sont une expérience, du fait qu’ils sont vus, vécus, verbalisés. Sinon ce n’est pas du rêve éveillé. Par exemple un test projectif : on va raconter une histoire sur un test projectif, c’est beau, c’est intéressant, c’est extrêmement porteur des significations, mais ce n’est pas un rêve éveillé.
Ø ce faisant restaurer (ou instaurer) les bases même du psychisme. Cf. Didier ANZIEU : «une définition possible de la cure psychanalytique, celle de permettre au patient de faire des expériences archaïques, fondamentales, constitutives de la psyché, du moi, et du penser, qu’il n’a pas eu l’occasion de faire dans son existence naturelle »
Bon finalement, ce qu’on fait au bout du compte, la stratégie du jeu, le but de la cure, cela a été dit de façon très intéressante par Didier Anzieu (Cf. ci-dessus). Moi je le retiens complètement comme base. Et une fois qu’on sait que c’est ça le but, eh bien du coup, on a quand même une idée générale du fait que la cure est orientée vers cela.
Alors comment on va procéder
. 2° partie : les débuts de partie . généralités .
1. la question de la névrose de transfert :
Je reviens sur une question que vous connaissez évidemment, qui est la question de la névrose de transfert. Il s’agit que s’instaure une névrose de transfert. Ça veut dire quoi une névrose de transfert ? ça veut dire que l’ensemble de la problématique de la personne est focalisé à l’intérieur de cette relation là, avec vous.
Si la personne se disperse, si elle a un bout de transfert d’un côté, un bout de transfert de l’autre, elle fait un chemin avec vous, mais elle fait aussi un groupe de gestalt ailleurs, et puis par ailleurs elle va voir je ne sais qui pour « un truc extrêmement intéressant », etc., si la personne fait ainsi d’une certaine manière elle empêche la cristallisation de la névrose de transfert à l’intérieur de la cure. Or, c’est seulement si tous les éléments sont concentrés ici qu’on va pouvoir faire un boulot correct.
Et là on tombe sur la question des résistances. Bien entendu vous savez que le transfert est une résistance, la résistance DU transfert. C'est-à-dire que si le transfert est trop massif, mettons un transfert négatif massif, eh bien ça va couper la cure. Si la personne considère que vous êtes le plus mauvais du monde et qu’il n’y a pas moyen de faire avec vous, ça risque d’arrêter la cure, sauf si on dispose du rêve-éveillé. Et le transfert positif, massif, idéalisant, va aussi être un frein, puisque la personne sera uniquement axée sur : qu’est-ce que vous allez pouvoir lui dire ? Comment vos merveilleuses paroles vont pouvoir l’aider ? Etc. Donc, le transfert est une résistance en ce sens que la personne croit que vraiment c’est vous qui êtes en question et que c’est avec vous que tout se passe, et refuse de travailler sur le fait que tout ça c’est une répétition du passé. Ça c’est bien connu.
Ø ce qui suppose :
§ avoir dépassé la résistance AU transfert
Ce qui est peut-être un peu moins connu ou en tout cas auquel vous devez faire attention, c’est la résistance au transfert. C'est-à-dire que la personne vous prend comme un objet fonctionnel. Elle évite le plus possible d’être dans une relation affectivée avec vous. Elle vient vous voir comme on vient voir son plombier ou son dentiste. C'est-à-dire qu’il y a quelque chose qui vous met tout le temps comme un objet utile.
§ et avoir investi fortement cette cure (excluant ou minimisant les autres points de fixation du Transfert)
Cette résistance au transfert va empêcher l’investissement fort de la cure et du coup ne va pas permettre qu’on ait tous les atouts possibles.
Ø et ceci sera réalisé de diverses manières, dont pour les débuts :
§ le lien suffisamment positif favorisé par les premières séances (transfert de base – attachement). SA2
§ le contrat, avec des modalités permettant l’investissement (alliance de travail. Contrat avec l’Adulte = la partie du Moi qui amène en cure… au début)
2. le rôle et la place du Transfert négatif
En ce qui nous concerne, on va avoir une façon de faire extrêmement différente du fait de l’instauration du rêve-éveillé, à condition qu’on instaure celui-ci correctement. Si on l’instaure correctement une cure analytique rêve-éveillé devient une cure à trois pôles :
§ Le patient ;
§ L’analyste ;
§ Le rêve-éveillé.
Il est impératif que les trois pôles prennent leur place, de mon point de vue, parce qu’à ce moment là il y a toute une partie du transfert qui va se dédoubler. Il y a une partie du transfert qui va être posée sur l’analyste et une partie du transfert qui va être posée sur les figurations symboliques du rêve-éveillé et aussi sur le rêve-éveillé lui-même.
Ce qui fait qu’on pourra avoir une configuration très particulière dans laquelle il peut y avoir une partie du transfert négatif sur vous par exemple, sans que ça arrête la cure, parce que parallèlement il y aura une partie du transfert positif sur le rêve-éveillé. La personne dira, en gros : cet analyste c’est vraiment pas ça, mais le rêve-éveillé c’est vachement intéressant.
Ou bien la configuration la plus habituelle c’est plutôt l’inverse, la personne est dans un transfert positif sur l’analyste, et tout le négatif va surgir dans les rêves-éveillés. C'est-à-dire, vous allez avoir, dans un premier temps, une relation très positive avec la personne et puis les premiers rêves-éveillés vont être des trucs merdiques, pas possibles, des choses dramatiques. Pas forcément les tous premiers mais assez rapidement. Et tant mieux ! Parce qu’au moins le transfert négatif peut se déposer quelque part sans venir saboter la cure.
Ø une fois installés le transfert de base et l’alliance de travail, qui tous deux garantissent (provisoirement) un contenant fiable
Bon alors, quelques mots sur le transfert avant de voir la mise en place concrète qui permettra ce tripôle. En ce qui nous concerne, je pense que les premières séances sont l’occasion d’avoir un lien, disons suffisamment positif, une sorte de transfert de base qui peut s’établir parce que la personne va sentir dans ces premières séances la qualité de présence, la qualité d’accompagnement, la façon d’être ; éventuellement notre « activité », car dans un premier temps je crois qu’il faut qu’on soit relativement actif pour aider la personne à se récupérer.
Si elle vient d’une façon assez écroulée, il est important qu’elle reçoive une écoute active et pas seulement juste une écoute analytique. Ça dépend évidemment. Mais dans l’hypothèse où la personne vient vraiment dramatiquement écroulée, eh bien je crois qu’il faut qu’on soit actif. Sinon, on ne va pas la revoir. Moi, j’ai eu plusieurs cas de personnes qui venaient me voir, qui disaient : « j’ai été voir un psy, je l’ai vu quatre fois, il ne m’a pas dit un mot, je n’ai pas continué ».
Bon, je crois que c’est une erreur et qu’il faut qu’on puisse, dans un premier temps, être plus actifs. Evidemment, on comprend pourquoi les psychanalystes classiques évitent d’être actifs dans un premier temps parce que, pour eux, l’élément fondamental sur lequel ils vont travailler c’est le transfert et le contre-transfert. Et, comme ils n’ont pas le support tiers du rêve-éveillé, ils ne peuvent pas se permettre d’être actifs au départ parce que ça risquerait de fausser le transfert.
Tandis qu’en ce qui nous concerne, à partir du moment où on installera le système tripôle, le fait qu’on ait été plus actif n’est pas une gêne, puisque de toute façon il va y avoir un dédoublement ultérieur du transfert. Donc, je crois qu’un des atouts du système tripôle rêve-éveillé, c’est qu’on peut être plus actifs dans un premier temps et que ça va créer comme une sorte d’alliance de travail de base.
Ceci dit, je simplifie, mais malgré tout vous savez qu’il y a quand même deux grands types de problématiques, narcissique-identitaire ou œdipienne, ce qui veut dire plus concrètement qu’il y a deux grands types de difficultés, névrotique ou état-limite, or ceci donne deux grand types de transfert très différents.
Ø il s’agit de permettre l’apparition du Transfert négatif, car c’est principalement là que va se rejouer le négatif pour être traité
Ø mais nous avons alors deux types de Transfert, dont l’un est particulier et nécessite des aménagements :
£ transfert classique
Le transfert classique c’est : le patient est comme l’enfant qu’il a été et l’analyste ressent à l’intérieur de lui contre-transférentiellement des pulsions, des motions, des désirs, des images, qui sont assez similaires à ce que le parent a pu être vis-à-vis de cet enfant. Tout au moins le parent tel que l’enfant l’a reconstruit, peu importe. Donc ça c’est le transfert classique, vous êtes un peu comme un parent vis-à-vis d’un enfant.
£ et transfert inversé (baptisé « transfert par retournement » par Roussillon)
Mais quand vous avez affaire à un état-limite qui a un noyau complètement fracturé, qui est avec quelque chose d’extrêmement violent, mal contenu, avec un Moi faible et troué, avec une grosse difficulté à « faire avec » plein de choses de la vie réelle, et avec des symptômes lourds, quand vous avez affaire à un état-limite, c’est insupportable pour lui de se retrouver dans la position de l’enfant qu’il a été, insupportable. Il s’agit d’angoisses mortelles, c’est l’agonie primitive dont parle Roussillon, c’est des choses comme ça. C’est insupportable.
Et donc, avec un état-limite, vous allez avoir affaire avec un transfert inversé, ce que Roussillon appelle le transfert par retournement. C'est-à-dire que la personne va être le parent destructeur et vous-même, vous allez ressentir contre-transférentiellement des vécus d’enfant détruit. Et donc avec un état-limite, c’est très difficile, c’est douloureux. C’est délicat à gérer en tant qu’analyste, parce que vous êtes sans arrêt sapé, bombardé, attaqué, détruit par le patient.
De toutes manières : les attaques contre le cadre, les horaires, le paiement, le rythme, mais aussi des attaques plus directes : vous êtes nul, vous ne comprenez pas, c’est pas comme il faut, les autres sont tellement mieux, d’ailleurs elle a été voir telle personne, c’était vraiment super, alors qu’avec vous c’est complètement nul, etc., etc. C'est-à-dire que c’est un bombardement incessant de destructivité massive. Il faut le supporter !
Il y a problème lorsque ce contre-transfert spécifique vient faire écho à une fragilité narcissique de l’analyste. C'est-à-dire que tu vas te dire : « eh bien oui, oh là, là, mais je n’y comprends rien. Mais oui, je ne suis pas bon. Mais oui il ferait mieux d’aller voir quelqu’un d’autre. Mais oui, etc., etc ». C'est-à-dire que tu ne résistes pas et que tu es détruit. Et à ce moment là, tu commences à avoir des systèmes de rétorsion : tu l’oublies, tu fais une erreur dans les rendez-vous ; ou bien alors tu te dis : hou là, là, si seulement il allait voir quelqu’un d’autre. Mais il continue, parce que la personne elle vient, elle fait son boulot de venir, en plus elle est accrochée quand même.
Donc là c’est plus délicat, et ça dure plus longtemps, parce qu’il faut d’abord, d’abord et avant tout, que vous surviviez. Si vous survivez, c'est-à-dire que malgré les attaques incessantes, vous restez stable et vous restez bon, à ce moment là, ultérieurement à un moment donné, l’état-limite va pouvoir commencer à introjecter l’enfant non détruit que vous êtes et à pouvoir s’approcher, avec sa propre destruction, avec sa propre agonie, avec sa propre douleur, de son enfant détruit, parce qu’il est en partie restauré par l’introjection de l’enfant qui a survécu que vous avez été. Vous comprenez.
Et à ce moment là il y a une bascule du transfert, pas complète, mais on commence à avoir des séances où la personne peut être dans son enfant blessé. Elle a besoin à ce moment là de découvrir une autre imago parentale. Et pour elle c’est une période extrêmement difficile, parce que jusqu’à présent elle était clivée de l’enfant blessé. Donc, clivée = pas de problème, sauf qu’il y avait des tas de symptômes et des tas de trucs troublants. Mais là, elle n’est plus clivée, et au moment où elle n’est plus clivée, elle est bouleversée par ce qui est en train de venir.
Donc avec un transfert inversé, qui est le cas du transfert qu’on a avec un état-limite, il va falloir d’abord passer par un renforcement du Moi, avant qu’on puisse envisager de faire un travail rêve-éveillé correct. Et là, j’aime autant vous dire qu’on est sur la crête, toujours au bord de la rupture, toujours au bord du passage à l’acte de la part de l’état-limite, jusqu’à ce que quelque chose se soit enfin reconstitué et qu’on puisse arriver à établir une cure analytique rêve-éveillé plus classique. Alors qu’avec un transfert névrotique classique, eh bien là c’est plus simple. Il faut installer les choses correctement et après ça se passe sans difficulté aussi grande.
Il faut que le Tr négatif trouve sa place dans la cure, sans pour autant être un empêchement à la cure. Problème pour les psychanalystes qui ne connaissent pas le cadre particulier de l’analyse RE (et recherche de « tiercéité » A. Green. Anzieu : Analyse transitionnelle ; Roussillon : les psychothérapies à médiation)
Donc ça c’est vraiment, je pense, ce qui fait la richesse spécifique du travail analytique rêve-éveillé, c’est que c’est un travail à trois pôles. Et les analystes classiques sont en train de tourner autour de ça : Green parle de la tiercéité, Anzieu a écrit des trucs très intéressants sur l’analyse transitionnelle, Roussillon parle des psychothérapies à médiation. Dans quelque temps ils vont bientôt découvrir l’analyse rêve-éveillé ! ! ! Bon, là ils n’en sont pas encore tout à fait là , mais ils s’avancent progressivement vers l’intérêt d’un système trois pôles.
. 2° partie : les débuts de partie . mise en place concrète .
Nous allons voir comment tout ceci donne des lignes de conduite concernant les débuts de cure :
Bon après ces premiers mots sur les généralités, sur les débuts de partie, essayons de voir plus précisément la mise en place concrète. Alors, comme je forme des gens depuis de nombreuses années et qu’eux-mêmes sont en supervision pour de très nombreuses cures, j’ai pu faire des constats statistiques. Et il y a des périodes d’arrêt, dans les débuts de cure, qui sont assez typiques : c’est en séance 4 ou 5, c’est aux alentours de la séance 10 et c’est aux alentours de la séance 16. Si vous faites attention à vos propres cures, vous vous apercevrez que c’est souvent dans ces zones là que ça s’arrête.
les arrêts dans les débuts de cure
constats statistiques : S4 – S10 – S 16 (et plus tard aux environs de une année, souvent S50)
a) les étapes du début de partie
1. de S0 à S4
Ø S0 : ce qui se passe à l'intérieur du patient dès lors qu'il a pris rendez-vous. Il commence à parler intérieurement à l'analyste, et ses R.N. ont une tonalité orientée.
Pourquoi ces arrêts ?
Alors, de la séance 0 à la séance 4 : la séance 0 elle existe, la séance 0, c’est ce qui se passe à l’intérieur du patient dès qu’il a pris rendez-vous. C'est-à-dire que dès qu’il a pris rendez-vous, il commence à parler intérieurement à son analyste et ses rêves nocturnes commencent à prendre une tonalité orientée.
Ø D'où l'intérêt de 2 questions : qu'est-ce qui vous a décidé à prendre rendez-vous ? avez-vous eu un rêve frappant ?
Ø S1 : c'est un moment délicat car il comporte plusieurs niveaux :
£ la demande de niveau 1 : axée sur les manifestations problématiques dans l'actuel et donnant la motivation consciente
Il s’agit à la fois qu’on puisse saisir ce qui fait venir la personne dans son vécu actuel : « on a des problèmes sexuels avec mon mari, c’est impossible, ça devient de pire en pire, on s’engueule tout le temps, etc ». ça c’est la demande de premier niveau, la demande actuelle qui est axée sur les manifestations problématiques dans l’actuel et qui en fait donne la motivation consciente. C’est pour ça que la personne vient. Elle ne vient pas pour régler les problèmes de sa petite enfance avec sa mère au moment où elle a été mal nourrie dans les trois premiers mois, etc.
Elle vient avec une motivation consciente et on ne peut pas éviter de tenir compte de cette demande parce que c’est ce qui va permettre de continuer.
£ la demande de niveau 2 : axée sur les trames inconscientes qui sont à l'origine du problème actuel
Mais malgré tout, il s’agit aussi de faire sentir à la personne que tout ça c’est peut-être lesté d’un autre niveau. Donc c’est ce que j’appelle les demandes de niveau 1 et les demandes de niveau 2. Niveau 1 c’est l’actuel auquel il va falloir qu’on fasse face tout de suite ; niveau 2, c’est les trames inconscientes qui sont à l’origine du problème actuel.
Les deux erreurs qui seront à l'origine de la rupture en S4 tiennent au fait de ne privilégier qu'une seule des deux demandes :
a. ne s'occuper que du niveau 1 (en appliquant avec pertinence une pratique influencée par les thérapies brèves) laisse l'illusion que la situation actuelle est la seule problématique à résoudre
Si on ne s’occupe que du niveau 1, on va peut-être attirer l’attention sur la communication ; qu’est-ce qui se passe pour vous ? On va essayer de recadrer un peu la manière dont elle voit le problème avec son mari, etc. Et finalement au bout de trois, quatre séances, ça ira bien et elle arrêtera là parce que ça lui suffira. ça aura fait une espèce de petit bout de thérapie brève, mais elle n’aura pas accroché sur un niveau plus profond. Donc du coup si on n’a fait que le niveau 1, ça s’arrête à cette S4.
b. ne tenter d'écouter que le niveau 2 et se mettre d'emblée dans une « attitude analytique » (telle qu'elle sera nécessaire ultérieurement) est généralement vécu comme une violence. La personne n'a pas le sentiment d'une alliance face à la difficulté qui la préoccupe. « Je l'ai vu quatre fois, il ne m'a presque rien dit, à part quelques remarques sur mon enfance »
Mais inversement, si on ne fait que le niveau 2, et qu’on écoute en disant : « oui, mais peut-être que dans votre enfance il y a eu ça, et ça », la personne peut très bien aussi sentir qu’elle n’est pas entendue dans sa souffrance actuelle et que du coup, il lui manque quelque chose. Et elle arrête alors.
conclusion ce moment très important va beaucoup jouer sur l'alliance de travail des premiers temps de cure. Ainsi s'agit-il :
niveau 1. d'être en lien avec la souffrance du patient (reformulation, empathie, sympathie) et d'avoir des interventions de soutien (connotations positives, levée de désignation) assortie de recadrages qui vont alléger le problème actuel ou même parfois le résoudre
Donc en fait, pour bien faire, à mon avis, dans ce premier temps, dans cette première séance et dans les trois ou quatre premières séances, il s’agit de jouer sur les deux niveaux. C'est-à-dire d’être en lien avec la souffrance de la patiente réelle : la reformulation de ce qu’elle vit, l’empathie, la sympathie, la compréhension, des interventions de soutien, des connotations positives, des choses qui sont surtout assorties de recadrages, qui consiste à essayer de voir le problème sous un autre angle pour qu’il soit moins crucial. Toutes choses qui sont des techniques de thérapie brève mais qui ne sont pas du tout inintéressantes à connaître, même si elles sont très superficielles et si on ne les utilisera que pour quelques séances. Cela va alléger le problème actuel, sans pour autant négliger le travail de mise en lien de la problématique actuelle avec les épisodes précédents de son histoire.
niveau 2. sans pour autant négliger le travail de mise en lien de la problématique actuelle avec des épisodes répétitifs du même ordre dans la vie du patient.
Ce qui est très intéressant pour la personne c’est de s’apercevoir que ce qu’elle vit maintenant, eh bien au fond, ça ressemble à ce qu’elle avait vécu quand elle était adolescente, et puis ça ressemble aussi à ce qu’elle avait vécu quand elle avait eu un déménagement à six ou sept ans et que, finalement, il y a une espèce de similitude de vécus entre différents épisodes de son histoire. Ça c’est une intervention simple, qu’on peut faire, et qui à mon avis, est très parlante pour la personne, parce que d’un seul coup ça lui permet d’apercevoir que ce qui lui semblait être le problème, dans lequel elle avait le nez dedans, eh bien finalement c’est comme une ligne générale présente dans sa vie et son histoire.
« J’ai des crises de panique actuellement, je viens, je ne sais pas pourquoi j’ai ces crises de panique. Ça fait deux fois que je me suis retrouvée au SAMU, je viens pour ça ». Et puis elle s’aperçoit que, c’est vrai elle se rappelle qu’adolescente elle était extrêmement angoissée et qu’elle n’osait pas parler en cours, etc. Puis elle va se rappeler que quand elle était petite sa sœur aînée était toujours plus forte qu’elle et qu’elle-même était toujours un peu inquiète, etc. Si on peut montrer à la personne : eh bien tiens dites donc, ça ressemble un peu, c’est un peu comme s’il y avait quelque chose là maintenant qui vous angoisse mais que déjà il y avait eu ça et ça et ça dans votre histoire, cette intervention présente deux intérêts :
? Premièrement ça élargit le problème et donc du coup ça l’apaise quelque part aussi. Ce n’est pas que maintenant, c’est quelque chose de plus profond ;
? Et deuxièmement, ça prépare l’idée que « c’est bien joli, on va travailler sur les crises de panique actuelles, mais si ça se trouve c’est une occasion aussi de régler quelque chose de plus profond qui était là depuis longtemps ».
Ce premier temps nécessite donc d’une part d’être en lien avec la souffrance actuelle du patient et de faire quelque chose pour la souffrance actuelle du patient, et d’autre part de préparer l’idée qu’il y a quelque chose qui n’est pas sans rapport avec des éléments de l’histoire.
Et pour ce faire nous aurons besoin d'éléments d'anamnèse
un mot sur l'anamnèse
Donc on aura besoin de certains éléments d’anamnèse. Moi, je suis pour que l’anamnèse soit faite assez rapidement. Parce que sinon on navigue un peu trop à vue et puis on n’a pas vraiment le moyen de montrer à la personne que tout ça s’inscrit dans une histoire. Donc personnellement je demande des éléments d’anamnèse dès la première séance. Mais alors, là aussi, il faut comprendre qu’il y a deux types d’anamnèse, généralement entremêlées, et à distinguer.
C Il y deux types d'anamnèse, généralement entremêlées :
l'anamnèse historique (définition)
Il y a une première anamnèse qui est l’anamnèse historique, c’est l’histoire que la personne se raconte.
l'anamnèse structurelle (les faits : fratrie, événements, lieux, etc.)
C l’anamnèse historique (reconstruite et absolument pas fiable) est celle qui intéresse le patient. C'est celle aussi qui permettra une mise en lien facile (qui ne sera pas une interprétation sauvage) entre la problématique actuelle et les moments similaires dans l'histoire
Donc elle va vous raconter son histoire : il s’est passé ça, il s’est passé ça, il s’est passé ça. OK. Très peu intéressant, parce qu’en fait cette histoire est truffée de réorganisation, mécanismes de défense, de façon de dire les choses, etc. Et en réalité, vous avez affaire, non pas à l’histoire de la personne, mais à la reconstruction de l’histoire de la personne à travers sa vision actuelle. Donc ça c’est l’anamnèse historique, peu intéressante.
C l'anamnèse structurelle est beaucoup moins susceptible d'être biaisée par la reconstruction du patient et c'est celle qui nous intéresse le plus car elle permet des débuts d'hypothèses. Exemple: la personne sait qu'elle a dû faire de la couveuse à la naissance, qu'elle a été hospitalisée à trois mois puis à quatre ans, qu'elle était précédée par un enfant mort, etc. mais elle dit que son enfance a été merveilleuse avec une mère hyper attentive avec qui elle reste d'ailleurs dans un lien très étroit etc.
Et l’autre anamnèse qui est très intéressante c’est l’anamnèse structurelle. Il s’agit des faits. Par exemple la fratrie : combien y avait-il de frères et sœurs et quelle différence d’âge les séparaient. Par exemple les événements : est-ce qu’il y a eu des déménagements ? Comment s’est passé la naissance ? Est-ce qu’il y a eu des hospitalisations ? Par exemple la structure de la maison : à quel endroit était la chambre par rapport à la chambre des parents, etc.
ça la personne le sait, et elle peut vous donner des éléments concrets sur son histoire : « ah bien oui, j’ai été hospitalisée à trois mois, et je suis restée un mois à l’hôpital sous une tente à oxygène. Mais mon enfance c’était super, et d’ailleurs ma mère s’est extrêmement occupée de moi, était vraiment très, très attentive etc ». Bon il y a : ma mère était extrêmement attentive. Et il y a : j’ai été hospitalisée à trois mois pendant un mois sous une tente à oxygène. On sait ainsi qu’il y a eu une rupture du lien extrêmement forte, qui va avoir créé un trou dans l’histoire du développement, mais ceci ce sont les faits qui nous le donne. C’est la structure. Si j’ai été suivi par une petite sœur qui est née dix-huit mois après moi ça veut dire que quand j’avais neuf mois, ma mère était enceinte. Ça veut dire que quand j’avais un an, eh bien il y avait déjà la petite qui prenait l’esprit de ma mère, etc. Mais je l’adore ma sœur, on s’entend vachement bien, on est comme les deux doigts de la main etc.,
L'histoire : on m’aime, sans ambivalence, et mon enfance a été bonne
La structure : peur, rage, haine, ambivalence maternelle compensée
Eh bien il y a deux choses différentes : il y a ce qui est raconté, et puis il y a peut-être ce qui a été vécu. Donc c’est intéressant pour vous de ne pas vous laisser trop séduire uniquement par ce que raconte la personne à propos de son histoire. Ce qu’elle raconte c’est comme les livres d’histoires en URSS, il y a des parties qui ont disparu, il y a des personnes qui ont été rajoutées sur les photos. Par contre l’écart d’âge entre les frères et sœurs ça ne peut pas être manipulé.
Donc ce n’est pas inintéressant d’avoir ces éléments concrets. S’il y a eu un temps de couveuse à la naissance, par exemple, c’est un point fondamental ; si la personne, à quatre ans, a été en sanatorium, c’est un point fondamental.
Conclusion
1. les quatre premières séances devront être une danse dans laquelle chacun des éléments trouvera sa place :
la problématique actuelle et la façon de la gérer
l'approche progressive du niveau 2 (éléments d'anamnèse, RN)
2. on n'y évoque pas la perspective d'une cure analytique, puisqu'on ne sait pas encore si la personne s'engagera, ni si nous-mêmes on se sentira prêt pour ce chemin avec elle
Si vous commencez à dire : « quand on fera un travail plus long, etc ». Non, non. On en est juste à : on cherche ensemble et peut être on va s’engager, peut-être vous, peut être moi c’est pas sûr, etc.
Il y a un premier temps, mais ce premier temps, si on n’évoque pas du tout le fait qu’il y a d’autres niveaux dans l’histoire, il est quand même bon qu’on fasse les deux choses.
Donc, ensuite, en séance 4, 5 ou 6, on fait le point pour savoir quelle est la motivation du patient et la nôtre aussi. Et à ce moment là, il s’agit de conclure un contrat qui va permettre un travail psychanalytique correct. Parce qu’on va passer à un autre genre de travail. Autant les premières séances étaient sur une modalité face à face, soutien du Moi, recadrages, etc., autant là si on décide de faire un travail analytique, il va falloir mettre en place les paramètres qui vont permettre un travail analytique.
En somme l'arrêt en S4 pourra provenir du fait que le patient :
ð soit ne s’est pas senti entendu et accompagné
ð soit ne s'est senti entendu qu'au niveau 1 et, devant l'apaisement de cette problématique, ne voit pas l'intérêt de poursuivre (cf. Freud : ne pas assécher trop vite la douleur)
Par contre si la danse a été correcte et à la bonne distance :
ð La personne instaure une alliance de travail et un transfert positif de base
ð et elle se sent à l'intérêt de cette opportunité qu'est la crise pour aller plus loin
3. de S4 à S10
¤ En S4 (ou S5), il s'agit de « faire le point » afin de savoir quelle est la motivation du patient (et la nôtre). Puis de conclure un contrat permettant un travail psychanalytique correct
On va passer un contrat, en fait il ne s’agit pas forcément de le dire comme un contrat, mais plutôt, à partir du moment où on va faire un travail analytique ensembles, si on veut que ce soit efficace, il faut qu’il y ait un certain nombre de règles du jeu.
¤ il ne s'agit pas de parler de « contrat » avec les connotations qu'il peut évoquer mais de « règles du jeu » qui permettront de bien jouer, de bien avancer.
Donc, on va parler de règles du jeu, qui d’ailleurs rejoignent complètement ce que dit Winnicott à propos de la cure analytique, qui est un jeu, c’est on joue ensembles.
Il faut qu’il y ait ces trois points là. 1) Tout ce qui concerne le cadre, 2) tout ce qui va permettre la régression, et 3) tout ce qui va permettre, ultérieurement, la sortie de la dépendance.
Ces règles du jeu sont destinées à favoriser tout ce qui permettra l'analyse : la solidité du cadre, les facteurs favorisant la régression, les éléments qui amèneront ultérieurement la sortie de la dépendance. En somme :
1) ce qui va favoriser la Névrose de transfert
2) ce qui va favoriser la sortie de la névrose de transfert
¤ exemples de points à aborder pour ces règles du jeu :
régularité des séances (une fois par semaine, à durée fixe) ;
une séance sautée est due :
ce qui évite des jeux avec : je viens, je ne viens pas, etc
les vacances qui coïncident ;
pas d'arrêt brusque (quatre séances) ;
Alors ça, je pense que c’est un des rares moments où on peut être pédagogique, c'est-à-dire expliquer qu’il va y avoir des moments où on aura envie d’arrêter et où ça sera peut-être justement, surtout pas le moment parce que quelque chose sera en mouvement et qu’il y aura une partie qui se mettra à freiner face à ce mouvement. Et donc, à mon avis, en tout cas c’est comme ça que je fais, moi, à cette étape là, je parle avec le patient de la possibilité d’être tenté d’arrêter et qu’il y a différents types d’arrêt. Il y a l’arrêt fuite et puis il y a l’arrêt terminal. Et j’explique que l’arrêt fuite est destiné, en général, à empêcher un mouvement qui est en cours.
Parce que, vous aurez l’occasion de vous en rendre compte dans vos cures, un des moments où la personne parle d’arrêter, c’est quand vraiment ça commence à bouger. C’est en train de changer : horreur ! Une partie prend peur. Donc vous, thérapeute, vous voyez le changement dans les rêves-éveillés, vous voyez le changement dans la vie réelle, vous voyez l’amélioration sur certains comportements, certains symptômes. Et c’est à ce moment là que la personne dit : « bon, tout compte fait cette cure ça ne m’amène rien, je ne sais pas pourquoi je viens, je ne sais même pas si je continue, etc ».
Comme une façon d’essayer de se rassurer mentalement alors qu’elle sent que tout le reste est en train de bouger. Parce que le changement, il ne faut pas s’illusionner ça fait peur, même très positif. Et donc ça suscite des résistances. Mais ce sont des résistances minimes. Par contre il ne faut pas laisser, pour autant, la personne se prendre à un passage à l’acte d’arrêter à ce moment là. Donc moi je propose de ne pas faire d’arrêt brusque et de se donner plusieurs séances, dans l’hypothèse où la personne voudrait arrêter.
paiement en espèces ;
Je propose le paiement en espèce, qui à mon avis est une des choses qui favorisent la sortie de la névrose de transfert ultérieure. Parce que, si la cure a bien marché, il y a comme une espèce de dette psychologique que peut ressentir le patient vis-à-vis de l’analyste, de voir que ça a été tellement positif, tellement bien, etc. Et le fait d’avoir payé en espèces, chaque fois, d’une façon visible, parce qu’en espèces on voit qu’on paye, ça change quelque chose. ça permet à un moment donné de se dire : « mais après tout, bon, il a fait son boulot, c’était son boulot, maintenant je ne lui dois rien » quelque chose comme ça.
setting-divan ;
On propose le setting divan, parce qu’à mon avis c’est nécessaire pour que la régression correcte se fasse et on évoque le fait que le rêve-éveillé sera le pivot de la cure.
RE pivot de la cure.
¤ À cette étape, dans laquelle le transfert négatif est resté a minima du fait du face-à-face et de la « présence bienveillante », le Moi Adulte du patient est capable de créer cette alliance est de conclure un accord sur les divers points, à condition de bien en comprendre le sens et de se les approprier.
Ce sera donc une des rares fois où l'analyste sera quelque peu pédagogique
4. de S5 à S10
¤ l'instauration du setting divan comporte deux effets majeurs :
Jusqu’à présent, jusqu’à ce contrat là, jusqu’au passage en divan, le transfert négatif était a minima, parce qu’il était contenu par le face à face et par l’alliance de travail sur les situations du moment. Donc, il n’y avait pas trop de transfert négatif. Dès que la personne va se mettre en divan, il va y avoir une évolution vers le transfert négatif. Et tant mieux. Parce que si le négatif ne peut pas arriver dans la cure, comment pourra-t-on traiter ce qui doit être traité ?
Le transfert négatif, c’est vraiment la pierre de touche des analyses, c’est même le problème le plus fondamental. Parce que c’est ce qui peut faire capoter une analyse, mais sans transfert négatif, on ne peut pas travailler sur le négatif, justement. Donc, je dirais : il est nécessaire qu’il y ait du transfert négatif, et il est nécessaire que ce transfert négatif ne sabote pas la cure. Dès l’instauration du setting divan, il va y avoir deux choses : d’une part il s’agit d’un changement dans le cadre, puisqu’il y a la perte du face à face et une position différente, étendue, qui induit plein d’éléments régressifs. Etre allongé, immobile sous le regard de l’autre, ce n’est pas rien.
il s'agit d'un changement dans le cadre (perte du face-à-face)
Tout changement dans le cadre, suscite des choses violentes à l’intérieur du patient, même s’il n’en est pas du tout conscient. Donc du coup, dès que le setting divan est installé, il s’agit de proposer à la personne : « qu’est-ce que ça vous fait ce changement, qu’est-ce qui se passe en vous ? Qu’est-ce qui vous vient comme images, comme impressions, etc ». Et si elle dit : « non, rien de spécial, c’est très bien », on ne lâche pas pour autant le morceau, parce qu’on sait que changement de cadre = quelque chose de profond qui est touché. Tout changement de cadre devra donner lieu à de la verbalisation.
il induit une régression (être allongé, immobile, sous le regard de l'autre)
et ces deux points amènent immédiatement des vécus négatifs
¤ on devra impérativement à cette étape
accompagner l'émergence du transfert négatif, car c'est autour de celui-ci une grande partie de la cure va se jouer (cf. tout changement dans le cadre… ex. vacances)
Par exemple, quand vous arrêtez pour les vacances, même si c’est prévu, c’est un changement dans le cadre. Eh bien inévitablement, avant les vacances, ou après les vacances, il va y avoir un travail à faire de verbalisation sur le réveil de l’abandonnisme ou sur des choses comme ça. Et durant cette étape, il va falloir faire deux choses, c'est-à-dire : accompagner l’émergence du transfert négatif, autrement dit favoriser le fait que la personne puisse commencer à laisser venir des choses qui vont être moins sympas qu’au départ, qui vont être plus proches de la douleur, du malaise, de la tension, de l’anxiété, de choses comme ça. Ça va se faire naturellement. Mais favoriser ça consiste à être prêt à l’accueillir et ne pas garder la même position qu’auparavant.
favoriser la dérivation de ce transfert négatif sur le troisième pôle qu'est le RE
¤ Exemple : SI le RE est clairement mis en place comme axe de la cure, on pourra voir un écart considérable entre le discours habituel et la nouvelle version des choses. (Cf. le Rat et l’Araignée)
Si le rêve-éveillé est clairement mis en place comme un axe de la cure, alors du coup, on va pouvoir instaurer ce dédoublement du transfert qui va permettre que la personne dira des choses à son analyste, mais aussi elle va en dire d’autres à l’intérieur du rêve-éveillé.
à noter que ceci suppose que le thérapeute met en place le cadre précis d'une analyse RE à trois pôles
Ainsi l'instauration à cette étape :
du nouveau cadre
de la pratique du RE
du dédoublement du transfert
va permettre que le transfert négatif trouve sa place légitime sans venir empêcher la cure.
De plus, ce cadre tripôle préservera l'alliance et permettra de ce fait une cure moins longue
Conclusion une rupture à la S10 s'effectuera si le transfert négatif n'a pas trouvé sa place. Exemple si l'analyste a voulu rester sur le registre positif. Un classique : ça se passait très bien et le patiente arrête brusquement (souvent en trouvant que c'est très bien ainsi)
C’est là où nous avons à nous positionner différemment d’une analyse classique, car nous pratiquons une analyse à médiation. Donc c’est le travail de l’analyste d’instaurer ce système.
Les erreurs qui ont pu amener la rupture à S10 sont :
Ø vouloir évacuer le négatif, dans une collusion analyste-patient
Et bien la rupture à la séance 10 s’effectue si le transfert négatif n’a pas trouvé sa place. C'est-à-dire que, par exemple, il y a eu un début de transfert négatif qui s’est installé à partir du setting divan, et l’analyste à voulu rester sur le registre positif, le négatif n’a pu se déposer nulle part et il se décharge en un passage à l’acte.
Moi j’ai vu des cas comme cela en supervision. L’analyste disait : c’est super, cette personne elle est vachement bien, elle symbolise vachement bien, moi je n’ai rien à faire, on est dans une très bonne relation. Et à la séance dix, tac, brusquement la personne arrête : « non mais ça va, ça suffit, etc ». Pourquoi ? Parce que le transfert négatif n’ayant pas pu se déposer quelque part, s’est accumulé et ensuite déchargé en un passage à l’acte.
Ø n'avoir pas permis que le transfert se dédouble, et qu’une partie (souvent le transfert négatif) se dérive sur les RE
Ø n'avoir pas perçu ou interprété le transfert négatif sous-jacent (qui peut être masqué par un transfert idéalisant. Ex. N. Buso)
Cas de figure particulier : il peut arriver que la collusion analyste-patient, pour éviter le négatif, amène malgré tout une cure relativement longue... et inefficace. Les deux sont contents de se voir, ça se passe bien, il y a peu de R.E. , les RE sont défensifs gentils (construit) etc... Et le transfert négatif se joue ailleurs (par exemple avec le conjoint).
Il y a un cas de figure un peu particulier : il arrive que la collusion analyste-patient, pour éviter le négatif, n’amène pas une rupture, mais amène une cure relativement longue et totalement inefficace. C'est-à-dire que les deux sont bien contents de se voir, ça se passe très bien, il n’y a pas beaucoup de rêves-éveillés, mais bon ce n’est pas grave, les rêves éveillés sont défensifs, gentils, construits, et le transfert négatif se joue ailleurs, par exemple sur le conjoint ou etc. Ce qui fait que là, nous trouvons une sorte de gentille petite cure qui semble tourner bien, et en fait il n’y a rien qui change, et même c’est de pire en pire à l’extérieur.
Il s’agit là d’une erreur de l’analyste. C'est-à-dire qu’il est trop content de rester dans le registre du transfert positif. Et finalement, il est d’accord avec les mécanismes de défense du patient, et le patient répond aux besoins de l’analyste en évacuant le transfert négatif de la cure, et en restant sur un mode superficiel défensif. Cela peut donner une cure très longue et totalement inefficace. C’est un cas rare, le cas le plus fréquent c’est la rupture à S10 parce que le transfert négatif n’a pas pu trouver sa place.
Je vais t’expliquer, je vais te donner un cas. Je reçois une personne qui est boulimique, boul-vom, elle se fait vomir. Elle a un sentiment de vie véritablement vide, elle se sent vraiment mal, et pourtant elle a « tout pour être heureuse », elle a un joli mari, elle a un bon métier, elle a de jolis enfants. Elle raconte une histoire d’enfance super : c’était très bien, il y avait une grande famille, dix enfants, tous extrêmement liés, il y avait une très bonne ambiance, elle-même elle était la deuxième ou la première je ne m’en rappelle plus, enfin dans les premier et on l’appelait la petite étoile. Donc il y avait rien de négatif, c’était merveilleux. Vraiment elle ne voit pas d’où cela pourrait venir. Bel exemple d’une « histoire URSS ».
Je commence des rêves-éveillés avec elle, et au troisième rêve éveillé, donc rapidement, elle fait un rêve éveillé où elle se trouve dans une espèce de souterrain glauque, et puis il y a une énorme araignée qui arrive d’un côté qui commence à lui arracher un bras, à lui dévorer le bras, et pendant qu’elle se fait dévorer le bras, derrière, il arrive un énorme rat qui commence à lui dévorer l’autre bras. C’est vraiment le rêve-éveillé horrible. Donc voilà, si tu veux, tu as d’un côté un discours qui est hyper positif et d’un autre côté un rêve éveillé qui amène plein pot la problématique douloureuse.
En rêve nocturne elle se serait réveillée. Parce que lorsque tu fais un cauchemar, tu te réveilles. Là, tu vas jusqu’au bout, tu peux rester dedans. Or là le rêve-éveillé raconte d’emblée deux imagos parentales dévorantes, ce qui correspond à la réalité. C'est-à-dire que, étant dans les premières avec beaucoup de frères et sœurs, elle a été extrêmement utilisée par les parents, pour être celle qui s’occupait d’eux, et elle n’a eu que très peu de place par elle-même.
Dans la semaine qui a suivi ce rêve-éveillé, il lui revient un souvenir : vers quatre ans, elle a eu une période ou elle hurlait, où elle pleurait toute la journée, et on ne savait pas pourquoi. Elle s’est fait engueuler vraiment vigoureusement par les parents et cela s’est terminé ainsi. Autrement dit, le rêve-éveillé commence à amener « l’autre histoire », et cette expérience du RE ayant drainé une partie des affects prépare la possibilité de retrouver certains éléments, qui étaient interdits de reconnaissance du fait des mécanismes de défense.
Si je n’avais pas mis en place, avec elle, la possibilité de permettre tout de suite l’expression de quelque chose d’autre, sur un autre support qui est le rêve-éveillé, eh bien probablement qu’on serait restés dans un truc très positif, peut-être quelques rêves nocturnes, et encore elle n’en n’avait pas, elle n’en ramenait pas, et puis voilà. Finalement le transfert négatif, aurait peut-être mis un temps interminable avant de pouvoir apparaître et être travaillé, ou alors au bout d’un certain temps la patiente aurait dit : eh bien de toute façon cette cure ça ne me sert à rien.
Donc, l’idée c’est que le rêve-éveillé va pouvoir drainer ce qui a besoin d’être vu, et va pouvoir le mettre en forme rapidement. Et à partir du moment où il est mis en forme rapidement, eh bien tu as trois pôles. On est côte à côte presque : analyste et patient face à ce troisième pôle qui est le rêve-éveillé. « Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce qu’il raconte ? Pourquoi il amène ça ? » Et c’est très intéressant parce qu’on n’est pas nous-mêmes celui qui va donner la nécessité d’aller vers le transfert négatif ou vers le traumatisme, on est celui qui va accompagner la personne pour essayer de comprendre qu’est-ce qui se rejoue là.
Je pense que le rêve-éveillé doit être clairement différencié du travail métaphorique, et ces paramètres doivent être instaurés par l’analyste. Mais avant qu’on dise comment on installe le RE, il faut bien comprendre la logique du truc.
Ensuite, imaginons que la personne a bien établi le tripôle, qu’elle a commencé à faire des rêves-éveillés, qu’il y a eu des trucs négatifs qui ont pu se dire, elle n’arrête pas à la séance 10, elle continue.
5. de S10 à S16
è si le transfert négatif a pu trouver sa place, en même temps que le RE, alors pourquoi y aurait-il arrêt à la S16 ?
¤ c’est qu’à S16, avec l'avancée de la cure vers le négatif et le douloureux, le patient découvre que venant pour aller mieux il va d'abord entrer dans ce qui le fait aller plus mal
C'est-à-dire que là d’un seul coup, il commence à se dire : « punaise, mais dans quoi je me suis embarqué ? Je viens pour aller mieux, et je découvre de plus en plus des choses violentes, douloureuses, troublantes, etc ». Donc, il y a comme un sentiment que la personne va plus mal. Ce qui de notre point de vue est très bien : elle peut se permettre d’aller vers ce qui est déstabilisant et souffrant.
¤ A S16 c'est le moment où la personne re-choisit la cure analytique RE : en S4 elle avait choisi par alliance positive et espoir de résolution, mais avec l'illusion que ça allait être facile ; en S16 les deux éléments précédents (alliance et espoir) doivent être maintenus, mais il s'agit de favoriser le nouveau choix plus lucide.
Mais on pourrait dire qu’à la séance 16, c’est le moment où la personne re-choisit la cure analytique rêve-éveillé. En séance 4-5, elle avait choisi par alliance positive et avec l’espoir de résolution des choses, mais avec l’illusion que ça allait être facile. En séance 16, les deux éléments précédents qui sont l’alliance et l’espoir sont toujours là, mais maintenant il s’agit de favoriser un nouveau choix plus lucide, qui peut se dire ainsi : je vais aller vers ce qui me fait mal et que je dois traiter. Donc il y a comme une sorte de nouveau point à faire, presque un deuxième contrat, sans que cela soit formalisé ainsi. On peut en reparler : oui, c’est vrai, c’est vers ça que vous allez maintenant.
Il n'est pas rare de devoir « faire un nouveau point », brièvement, à cette étape
Ensuite la cure est sur ses rails. Les éléments fondamentaux vont pouvoir se déployer:
REJEU : jeu Transféro-Contretransférentiel
RE et travail pour s'approcher des plis inconscients problématiques
CHANGEMENT : RER, et introjection d'une imago parentale bonne
Toutefois après environ une année (S50 mais parfois plus tôt s'il y a eu des ruptures dues à des vacances) il y a un nouveau risque d'arrêt : A) bien des choses ont changé et la personne va mieux dans sa vie réelle, B) mais les enjeux sous-jacents n'ont pas été traités. Après avoir nettoyé la périphérie, on s'approche du noyau dur. Là aussi il y a un re-choix à faire
Et le rêve-éveillé présente une spécificité que n’ont pas les rêves nocturnes, ou très rarement, et que n’ont pas ce qui n’est pas du rêve-éveillé, je veux parler du rêve-éveillé restaurateur (RER). C'est-à-dire des expériences, où la personne, pas d’emblée évidemment, va réexpérimenter certaines situation infantiles traumatiques et va les terminer autrement. Ceci a été bien dit par Lévine dans un vieux bouquin qui s’appelle ‘Le Rêve-Eveillé Dirigé et l’inconscient’.
Alors donc la grande question que vous vous posez, c’est : oui mais… tous les gens qui résistent au rêve-éveillé ? De mon point de vue, le rêve-éveillé doit être instauré activement par l’analyste. Pas : « est-ce que vous pourriez me dire ça en images ? ». A mon avis, il faut le présenter comme une expérience et dire : « voilà ! la pratique du rêve-éveillé suppose que vous fermiez les yeux et que vous essayiez d’instaurer un espace particulier ».
Et durant les premiers temps on propose une image de départ, différente des images habituelles. Par exemple mon image de départ la plus fréquente, pour le premier rêve-éveillé c’est : « est-ce que vous pourriez vous voir sur une planète inconnue ». Qui suppose d’abord que la personne ne va pas parler de la vie courante mais d’un lieu complètement différent. Et puis ensuite, je vais être relativement actif dans un certain temps. C’est-à-dire lui proposer : « qu’est ce que vous voyez ? Qu’est ce que vous voyez à droite ? Qu’est ce que vous voyez à gauche ? Qu’est ce que vous voyez devant ? Qu’est ce que vous voyez derrière ? » Et puis ensuite je vais lui proposer de rentrer dans la scène : « est ce que vous pouvez être dans la scène ? Est ce que vous pouvez bouger ? Est ce que vous pouvez vous installer ? Est ce que vous pouvez commencer à vous mettre en mouvement ? ». Et puis ensuite je vais lui proposer de sentir : « est ce qu’il fait froid ? Est ce qu’il fait chaud ? Comment c’est ? Quel est le moment de la journée ? » Etc. Donc, si vous voulez, ce que je vais faire, dans un premier temps, c’est d’être assez actif.
Moi j’ai appris le GIREP du temps où j’étais au GIREDD deux D (Groupe International du Rêve Eveillé Dirigé de Desoille). Et j’en garde des bons souvenirs. Bien entendu qu’on ne va pas faire de l’activité en disant : « vous allez voir telle chose, ou vous allez faire telle chose ». Mais par contre on va être assez actif pour que la personne rentre dans cette expérience là. Et l’activité consiste la plupart du temps à favoriser le fait de voir, de se déplacer dans la situation, d’être très présent, vous, dans un premier temps, mais présent dans le sens de ne pas laisser de silences, de proposer : « comment est le sol sous vos pieds ? Est ce que vous pourriez faire une action ? Décrivez-moi au fur et à mesure comment le paysage change ». Si la personne reste en silence on ne la laisse pas en silence dans les premiers temps : « comment est votre marche ? Qu’est ce qu’il se passe ? Qu’est ce qu’il ya autour de vous ? » Etc.
Et on fait cela dès la première séance de rêve-éveillé. Quand la personne a été mise en divan, on prend une séance pour travailler sur ce que cela fait, et puis à la séance suivante on propose le rêve-éveillé. Pourquoi ? Parce que tu as proposé dans les règles du jeu que le rêve-éveillé sera le pivot de la cure, et donc tu vas d’emblée proposer l’expérience du rêve-éveillé. Et l’expérience du rêve-éveillé, de mon point de vue, ne doit pas être confondue avec un travail métaphorique. Ce sont deux choses différentes. L’expérience du rêve-éveillé, c’est partir dans un monde qui va permettre à l’inconscient d’exprimer quelque chose, sous une forme inhabituelle, suffisamment loin de la vie réelle, suffisamment loin des souvenirs, suffisamment loin d’une construction que la personne pourrait décoder au fur et à mesure, etc.
Donc on va lui proposer. Puis, une fois qu’elle est lancée là-dedans, ce qui arrive très vite, pratiquement tout le monde peut le faire ça, eh bien à ce moment là, la personne va commencer à voir des choses qu’elle n’aurait pas vues auparavant. Comme dans un test projectif, sauf qu’elle est dedans, et qu’on doit favoriser qu’elle soit dedans : qu’est ce que cela vous fait ? Qu’est qui ce passe en vous ? Qu’est ce que vous avez comme sensations, surtout.
Monique Aumage a pas mal insisté à une époque sur les sensations dans le rêve-éveillé. Je pense, avec elle, que c’est très important les sensations dans le rêve-éveillé : le froid, le chaud, le lourd, le léger, j’ai la marche facile ou la marche difficile. C’est autant de façons pour la personne de s’associer au rêve-éveillé. Il y a des rêves-éveillés où l’on est associé et des rêves-éveillés où l’on est dissocié. Les rêves-éveillés où l’on est associé, la personne est dans le rêve-éveillé, elle se sent vivre les choses, les rêves-éveillés dissociés elle se voit les vivre. Les deux sont bien, mais n’ont pas le même impact.
Toutes mes propositions d’images de départ sont vagues, c’est : vous verriez une diapo, vous verriez une carte postale, vous seriez au moyen âge. D’ailleurs la plupart du temps, ensuite, la personne elle en fait ce qu’elle en veut. Mais il ne s’agit pas d’une proposition précise. Un truc précis ce serait orienter le rêve-éveillé vers quelque chose, alors que l’idée fondamentale c’est que si on propose ce support, la personne elle va aller là où elle doit aller et son inconscient sait, bien mieux que nous, là où il doit aller. De ce fait, il y a une espèce d’humilité à avoir, en tant qu’analyste, face au rêve-éveillé. Finalement, lui il sait mieux que nous où il faut aller. ça suppose de travailler éventuellement d’ailleurs sur le transfert de l’analyste sur le rêve-éveillé. Parce qu’au fond le RE est un rival. Lui il dit des trucs que moi je n’aurais peut être pas dit, lui il amène une piste qui n’était pas celle à laquelle j’avais pensé. Ou bien mon patient est plus intéressé par ses rêves-éveillés que par ce que je lui dis, etc. Donc, il y a aussi une réflexion à avoir sur le transfert de l’analyste sur le rêve-éveillé. Et peut-être que quelquefois, un certain nombre d’analystes qui disent : « oh mais moi, mes patients ils font très très peu de rêves-éveillés », cela peut être compris éventuellement, comme une résistance de l’analyste, un transfert négatif sur ce rival, sur ce troisième pôle, qui est le rêve-éveillé.
Le rêve-éveillé, je crois que dans un premier temps, n’importe qui peut arriver à le faire : j’ai même fait des rêves-éveillés avec des gens psychotiques compensés que je suivais au long cours pour un soutien régulier, mais avec des aménagements. C'est-à-dire : « cinq minutes, les yeux ouverts, etc ». Mais c’était possible, à condition que ce soit contenu. Par contre je crois que si on veut vraiment l’instaurer comme un troisième pôle, il faut clairement le différencier du restant du discours. C'est-à-dire qu’on pose clairement : on commence un rêve-éveillé, on finit le rêve-éveillé. Parce que sinon, il y a des espèces de glissements, qui peuvent être un peu moins bien, de mon point de vue, qui ne permettent pas l’instauration vraiment de ce troisième pôle.
Et par ailleurs, on ne le fait pas au GIREP, mais en ce qui me concerne je trouve très intéressant qu’on lise le rêve-éveillé du patient la fois suivante. Qu’on lui lise. Vous le faites ? Bon, c’est très bien ! Mais j’ai souvent entendu des personnes en cure avec des Girepiens qui disaient : mais je suis obligé de lui demander qu’il me le relise parce qu’il ne veut jamais me le relire.
Donc on a ce troisième pôle, et à ce moment là, on est finalement, côte à côte, en relation d’équivalence avec le patient, face à ce troisième pôle. Et ça permet quelque chose qui favorise le fait d’être ensemble en collaboration.
J’estime que le divan ça favorise nettement un discours moins contrôlé que le face à face. Le face à face, il y a quand même plein de choses au niveau du miroir, du visage de l’autre. Le patient est très attentif aux messages.
En face à face, les patients sont extrêmement attentifs à tes moindres messages non-verbaux. Par exemple ils rentrent, ils regardent si tu as l’air fatigué, si tu as l’air en forme, avec tout un tas d’interprétations transférentielles. Est-ce qu’il est en forme ? Est-ce que je l’épuise ? Est-ce que je le détruis ? Est-ce que … ? Tandis que si la personne est en divan, eh bien voilà, on favorise un travail plus intérieur, moins centré sur l’analyste. Et puis, moi personnellement, je suis plus à l’aise pour penser, pour suivre ce qui se passe en moi, pour saisir les différents vécus et tout, que s’il y a ce face à face qui me capte plus ou moins et qui m’oblige à être plus attentif.
Enfin, de toute façon on est d’accord sur les points qui consistent à dire : le travail du négatif est un point fondamental, il est permis par un positionnement correct de l’analyste et de la structure du système, et il est favorisé par la mise en place de ce dispositif, et c’est ce qui permet la relation d’équivalence, un type d’interprétation beaucoup moins intrusif, beaucoup plus métaphorique , on joue avec , on aide la personne à s’approcher de sa vérité sans être nous-mêmes porteurs de celle-ci. Et ça permet l’appropriation subjective finale, qui fait que la personne va avoir une capacité ensuite à symboliser, à se récupérer par elle-même.
1) L’enjeu fondamental de la cure se joue autour des points suivants :
travail du négatif
permis par un positionnement correct de l'analyste
lui-même permis ou favorisé par la mise en place correcte du cadre et de la structure même du dispositif
2) c'est à la lumière de cette compréhension claire du jeu instauré que tous les éléments importants d'une cure analytique RE peuvent être théorisés :
la relation d'équivalence et son intérêt
le type d'interprétation qui en découle
l'appropriation subjective qu'elle permet
les critères de fins de cures qui sont liés à tout ceci
En résumé : plus vous aurez une idée claire de ce que vous faites et plus vous pourrez supporter l'inévitable flou polyvalent qui permet l'émergence de ce qui doit être vu et traité (niveaux entrecroisés –narcissisme/oedipe-, vécus entrecroisés –patient-analyste). Une colonne vertébrale solide associée à une souplesse des articulations. Et pour finir, c’est très important, le plaisir de jouer avec cela.
A mon avis, plus vous aurez une idée claire de ce que vous faites et plus vous pourrez supporter l’inévitable flou polyvalent de tous les niveaux entrecroisés : narcissisme, Oedipe, patient, analyste, etc.
Donc, il est bon d’avoir un certain nombre de repères, ne serait-ce que pour les transgresser. Mais au moins avoir un certain nombre de repères, et puis bien sûr avoir le plaisir de jouer avec ça. Parce que quand même, je suis entièrement d’accord avec Winnicott, ce qui est sympa c’est de jouer.
A contrario, une cure où il n’y a pas de rêves-éveillés, c’est une cure analytique classique. Et une cure analytique classique, ce n’est pas une séance par semaine. Si tu veux faire une cure sans rêve-éveillé, il faut proposer deux ou trois séances par semaine. Parce qu’à ce moment là, si tu veux, se posent la gestion du transfert négatif, la gestion des mécanismes de défense, le fait que la personne va détricoter d’une séance sur l’autre ce qui est en train de se dire, etc.
Alors que, au contraire, le rêve-éveillé fait comme une espèce de balise, que la personne garde en elle-même, qui continue à travailler, qui fait qu’elle garde le lien avec la cure, même si elle a un mauvais transfert avec l’analyste, elle garde le lien avec la cure par ses rêves-éveillés, d’où d’ailleurs l’intérêt de proposer à la personne de les écrire.
Le rêve-éveillé, c’est comme une sorte d’objet transitionnel que la personne emmène avec elle et qui la garde en lien avec sa cure. Tandis qu’en psychanalyse classique, tu n’as pas ce support. Donc, si tu fais une séance par semaine, comme en analyse rêve-éveillé, mais sans qu’il y ait de rêves-éveillés eh bien, il y a d’assez fortes chances pour que tu aies une sorte de travail de Pénélope, c'est-à-dire : ce qui a été fait à un moment donné, va être ensuite défait et ainsi de suite.